Autour de Marc Chagall (1887-1985)

chagalll_danse
Marc Chagall, La Danse (1950)

Marc Chagall, « Vers de hautes portes »

Seul est mien ce pays
Qui se trouve en mon âme ;
Comme un familier, sans papiers,
Je m’y rends.
Il voit ma tristesse et ma solitude,
Il me couche pour m’endormir,
Me recouvrant d’une pierre d’odeurs.

Un vert jardin fleurit en moi, des fleurs imaginées,
En moi mes propres rues s’étendent.
Les maisons manquent
Depuis le temps de mon enfance elles sont en ruines,
Leurs habitants s’égarent dans les airs,
Ils cherchent un logis, ils vivent dans mon âme.

Voici pourquoi quelquefois je souris
Quand le soleil scintille à peine,
Ou bien je pleure
Comme une pluie légère dans la nuit.

Je me souviens d’un temps
Où je portais deux têtes…
C’était un temps
Où les deux têtes
Se couvraient d’un voile d’amour,
Se dissipaient comme le parfum d’une rose.

Il semble à présent
Que même en revenant sur mes pas
J’avance
En direction de hautes portes
Qui cachent un chaos de murs
Où les tonnerres abattus passent leurs nuits
Et les éclairs brisés.

***

Aron Kurtz (1891-1964), « La terre tourne… »

La terre tourne,
Il la peint et la pare en sa giration,
Des monts s’élancent,
Il les colore
En plein bond.
Des isbas bondissent par-dessus les vallées comme des agneaux
Il les colore et les peint
En plein vol.
Les murs
Ont des oreilles, les prairies ont des yeux,
Les bougies
Brûlent à l’envers
Selon les besoins d’un coin ténébreux sur
La terre.
Les bougies brûlent au-dehors, les bougies
Brûlent en-dessous,
Retournées
Afin d’éclairer le ciel et la terre pour ceux
Qui planent
Au milieu
De leur vie.
Les branches croissent, violons parfaits. Les arbres poussent, parfaits
Candélabres.
Le ciel fiance les étoiles de blanche et fine lumière
Qu’embrase l’air de rouge transparent et profond,
Et les flammèches brûlent comme
Les pointillés ardents
Des coeurs qui flambent.

« Qui est plus haut
Qu’une maison ?
Qui est plus prompt
Qu’un souriceau ? »

Un enfant est plus haut qu’une maison,
L’imagination d’un enfant plus prompte qu’un souriceau :
Jouant et jouant — elle joue vers son but :
Héros volant sur des tapis, chevaux et bestiaires,
Pas ici, plus loin, très loin d’ici,
Tapis « chauve-souris », « serpents »,
Aéroplanes en papier — Des enfants grandissent dans
L’envol fantasmagorique.

Qu’est-ce qui est plus léger
Qu’un voile ?
Les couples amoureux
Dans les flots de couleurs chez Chagall
Sont plus légers que voiles.
Qu’est-ce qui est plus léger
Que la brise ?
Ânes, ours, vaches, chevaux et chèvres
Sur les ailes des couleurs de Chagall
Sont plus légers que
La brise.

***

marc-chagall-wedding-candles
Marc Chagall, Les bougies de la noce (1945)

Avrom Sutzkever (1913-2010), « Jardin chagallien »

Derrière le portail, dans les dix-huit carats de la rosée
Vient se baigner ta fiancée.
Elle plonge en tremblant dans ta palette, en même temps
Que de bleus parfums balsamiques.
Ton imagination devient jardin… Ô nuit de rossignols !

S’embrassent des couleurs. Ton pinceau lui-même
Est un homoncule
Sur la Voie lactée de la toile
La tête à l’envers
Et s’offrent à lui des secrets charnus,
Pommes tièdes, fruits féminins,
Ses couleurs libèrent le bien que le jardin
Cache sous ses voiles de brume.

Traduction de Charles Dobzynski pour l’Anthologie de la poésie yiddish. Le Miroir d’un peuple, Gallimard, 2000.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s