Véronique Gentil irrigue sa poésie de son regard de peintre, sait évoquer d’un léger trait, de sa plume dépouillée, les nervures terrestres et les forces d’une nature qui s’étiole déjà. En retour, l’impossibilité de peindre à laquelle elle était confrontée à l’époque se voit contredite par cette poésie moins cérébrale qu’incantatoire, aplats de couleurs pour des toiles à venir. A la recherche de « terres moins déshéritées », ainsi que Louis-René des Forêts qualifie les épaisseurs de la mémoire où le langage peut encore s’insinuer, la poésie de V. Gentil ramène l’écart entre ses deux pratiques artistiques en traçant des tessons de poèmes sur l’espace de la page à l’image de ses toiles grattées par l’épure, énigmatiques dans leurs demi-teintes à la fois terreuses et chaudes, comme le furent aussi les peintures ocres, baignées d’un halo noir, de Zoran Mušič.
Empreint d’une douce mélancolie, le corps qui s’aventure sur les virages en lacets de la poète se voit fondu dans une matière primaire, au milieu « des terres tressées d’os, des enfances qui montent des fossés comme des odeurs de terrine » ; décomposé comme la nature en sommeil, il s’ouvre à une perception autre, par laquelle la peinture se voit sans être nommée, prend forme sans céder à la figuration. « Comme exécuté par la peinture », le corps boit « du noir qui suinte du noir », se laisse absorbé par le tableau primitif qui fait se rejoindre morts et vivants, « mains qui s’attachent à nos mains et nous / tirent ». La poésie de V. Gentil fait moins pressentir une passivité du vivant que sa digestion pleine et entière par une terre qui étend son empire et ouvre alors l’œil à son degré maximal de perception, lorsque le regard pénétrant supplée au défaut des langues. Le recueil Fers dit la prise d’un espace originaire, cerné par le fusain puis avalé à pleins poumons, circulant dans la sève et le sang : « le thorax prend l’infini dans de longues jarres d’air » car « l’air ne manque pas », il s’amplifie à la mesure de la dissolution des éléments, parmi lesquels ce « vieux cœur » qui lâche, se relâche, consolé par une autre pulsation du temps.
Véronique Gentil, Le Lac
ce sont au soir des foyers gris, des courses, des os courts d’arbre étêté, des cernes à peine autour des bois
on glisse de cerne à cerne, de bois à bois, le ciel fourche sur de petites têtes vides qui s’ouvrent parmi les épineux
on est un peu indifférent
si familier des fers
d’invisibles anneaux passent d’un poignet à l’autre, d’une annexe à l’autre du cerveau, d’une heure à une autre heure, de gros serpents digèrent dans des arceaux d’ombre et de fortes fumées de feuilles
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Véronique Gentil, Les Trois citrons
je pense à l’Univers que je ne peux imaginer, et tout mon front craque et s’ouvre comme une écorce
il y a du verre partout et partout des poussières
de minuscules formes d’hommes se retirent et finissent dans des pluies blanches et des rouages rouges et un bouillonnement de mouches
Véronique Gentil, Fers suivi d’une postface de Lionel-Édouard Martin, Le Vampire Actif, coll. Les Échappées, 2011. Quelques toiles à voir dans la galerie d’art La Prédelle.
Les tons pierreux de ces peintures, qui mêlent la poussière, l’ocre et la terre, me font penser aux fonds d’or de Giotto et aux marbres veinés et fumeux de Ghirlandaio… En tout cas, tes articles sont toujours aussi beaux, franchement… C’est quand la critique touche aussi à la poésie, comme ici, qu’elle est vraiment légitime et forte je trouve ! Bref, c’était l’instant groupie du soir : bonsoir !
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Les tons pierreux de ces peintures, qui mêlent la poussière, l’ocre et la terre, me font penser aux fonds d’or de Giotto et aux marbres veinés et fumeux de Ghirlandaio… En tout cas, tes articles sont toujours aussi beaux, franchement… C’est quand la critique touche aussi à la poésie, comme ici, qu’elle est vraiment légitime et forte je trouve ! Bref, c’était l’instant groupie du soir : bonsoir !
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Magnifique lecture, un grand merci. Puissent de nombreux lecteurs découvrir ainsi ces textes « empreint d’une douce mélancolie ».
Hugues Béesau