Intermède : Corde de lumière de Zbigniew Herbert

Zbigniew-HerbertAux poètes tombés

Le chanteur a les lèvres soudées
le chanteur prononce nuit avec ses yeux
sous la méchante couleur des firmaments
là où finit le chant commence le crépuscule
et du ciel l’ombre recouvre la terre

Quand dans les meules d’étoiles ronflent les aviateurs
tu pars protégeant le rouleau ridicule
d’une Mosaïque tu perds les mots des Métaphores
le rire t’accompagne dans ta fuite
face aux justes balles

Comme de l’écho l’ombre de tes mots l’inanité
et le vent dans les pièces de strophes vides
Ce n’est pas à toi de chanter l’incendie
tu dépéris dissipant en vain
les fleurs coupées de tes paumes transpercées

Envoi

reçois Silencieux le projectile Glapissant
il le prit dans ses bras pour fuir l’étonnement
l’herbe recouvrira Ce monticule de poèmes
sous la méchante couleur des firmaments
qui boira ton silence

***

Les yeux blancs

Le sang vit le plus longtemps
il coule il est avide d’air

la transparence s’épaissit
desserre le petit noeud du pouls

le soir la colonne monte
à l’aube la bouche se couvre de moisi

de plus en plus près
d’une tempe qui se creuse
de paupières qui déclinent

les yeux blancs ne retiennent pas la lumière
le triangle brisé des doigts
le souffle ôté au silence

la mère crie
elle secoue un prénom inerte

***

Deux gouttes

Les forêts flambaient —
mais eux
se nouaient les bras autour du cou
comme bouquets de roses

les gens couraient aux abris —
il disait que dans les cheveux de sa femme
on pouvait se cacher

blottis sous une couverture
ils murmuraient des mots impudiques
litanie des amouruex

Quand cela tourna très mal
ils se jetèrent dans les yeux de l’autre
et les fermèrent fort

si fort qu’ils ne sentirent pas le feu
qui gagnait les cils

hardis jusqu’à la fin
fidèles jusqu’à la fin
pareils jusqu’à la fin
comme deux gouttes
arrêtées au bord du visage

Zbigniew Herbert, Corde de lumière [1956], trad. Brigitte Gautier, Le Bruit du temps, 2011

Une réponse sur « Intermède : Corde de lumière de Zbigniew Herbert »

  1. astupidboy

    C’est sublime. Des résonances hölderliniennes et mallarméenne.pour « Aux poètes tombés » : « l’envoi » « l’inanité » « le silence » (dans lequel résonne d’immenses densités). Ce poème est foisonnant et magnifique. Il vaut la peine qu’on l’étudie et le commente. Qui est-il Zbijniew?

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