« … Au revoir, ma petite fleur abîmée. Mais pendant que tu gis, j’ai des choses à te dire… En cette heure où je me sens si seul… dans le silence tragique de cette nuit pascalienne où même les taxis ne roulent pas, j’ai besoin de me confesser, de me délivrer d’un terrible secret qui pèse sur moi plus lourdement qu’une montagne. Mais à qui m’adresser, sinon à toi, ma chérie… à toi seule, à ta tête fracassée surtout.
Mon prénom est Virak. C’est curieux, n’est-ce pas, que les Asiatiques s’appellent souvent par leur prénom ? C’est comme ça. Mon nom n’a pas d’importance…
Il faut te dire que j’ai une sacrée chance : je suis un Cambodgien réfugié à Paris. Mais Paris ou ailleurs, que m’importe ? Après l’holocauste de mon peuple, broyé, nivelé, englouti dans la plus fantastique des révolutions, je prie seulement l’Histoire, cette déesse des caprices et de l’absurde, d’avoir pitié de son âme. […]
Je ne suis plus qu’une plaie béante, ambulante, déchiquetée par cette multitude de piranhas que sont les souvenirs. Je suis la proie du temps, de mon univers phnompenhois : de ma femme, de mes belles-soeurs, de mes parents, de mes anciens amis… du Mékong. »
Soth Polin, L’Anarchiste, La Table ronde, 2011








