Intermède : Les sanglots secs de Berthe Burko-Falcman

YORTSAYT

Oui. Des sanglots secs.
Ça se pleure.
Ça nourrit les insomnies.
Larmes sourdes.
Se laisser gémir.
Et tant à pleurer.
De quoi pourrait-on ne pas pleurer
murmurait
la mourante.
Écoute-les ces enfants
Nisht geboyrene kinder
Sans mots à jamais
Sans naissance
Ils sont sans jadis
Et sans à venir.

Larmes sèches ne se pleurent.
Et les petites filles qui furent
Et celles qu’elle a été
Les pleurer ne se doit plus.
Hocqueter les sanglots secs
Déchire le souffle pétrifié.

Toi mon ombrageux
Tu ne me réveilles plus.
Le coeur s’affole de ton absence.
Un mois de mars est là — et tu meurs
Au mois de mars chaque année.

Tant que s’écrit ma vie
Tous les ans
Au printemps
Tu mourras.
Et toujours les sanglots secs

****

Cimetière juif du quartier de Kazimierz (Cracovie)
Cimetière juif du quartier de Kazimierz (Cracovie)

VOYAGES

Tu avais écrit sur l’album de Pologne
À côté d’une photo
« Les tombes des femmes
Serrées les unes contre les autres
Semblent se défendre
De la vie
Qui avance. »

Les racines des bouleaux
Éventrent les pierres
Les cercueils
C’est la vie qui avance.

Et nos silhouettes
Muées en troncs gris et blancs
C’est la vie qui avance.

Je suis revenue
Voir. Les tombes
Bousculées pressées
Basculées
Étouffées
Toujours se chevauchent
Font barrage
Aux orties
Et aux ronces
À la vie
Qui avance.

Tu n’es plus. De ce retour
Rien. Pas de photo
Des tombes perdues
Dissimulées dans les fleurs
Ensevelies sous les arbres.

Et ta présence absente maraude
Et farandole la vie.
Et ma mort
Qui avance.

Berthe Burko-Falcman, Les sanglots secs (2008-2012 à Rieuviel à Paris à Cracovie à Varsovie), anthologie dans le numéro 142 de la revue Po&sie, éditions Belin, 2013.

Note : En yiddish Yortsayt veut dire anniversaire et nisht geboyrene kinder les enfants non-nés.

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