
m_m_n
je t’ai pleurée jusqu’à être larme
rêve
taire
me taire
je me suis tu oui dans le recel des jours
avec mes tripes
j’ai crié
la jeune ardeur du fou des douleurs
comme j’ai crié
et ma peau je l’ai vue recourir au poème
comme on sectionne les veines à l’horizon du soir
on sectionne pour que saigne crépuscule
et que s’annoncent les écarlates les nuits les silences
ma peau je l’ai vue
enrager
crier
écumer
je l’ai vue se défaire et s’offrir
ma peau je l’ai vue
s’offrir aux rides à la décrépitude
je l’ai vue dans l’empressement du vieillir
succomber aux sourires
des tombes
j’avais quoi seize ans
c’est ma vie
qu’a sucé
le deuil
innombrable
aux bouches voraces
j’ai vu les genêts
mordre la nuit
jusqu’à l’aube
et j’ai vu
le jus nocturne perler
sur le jaune
harassé de tourments
et j’ai bu
j’ai bu le nectar
des nuits
pour me laver
du deuil
et mes orifices
ont produit le chant
de l’espérance j’ai écarté
les bras et j’ai brûlé
incendié l’espace
et le jour et la lave
d’ombre a dévasté la sale
gueule du deuil ma peau
ma peau
et j’ai couru
comme un loup libre et vif dans les labours
ensanglantés
sous la démence vespérale ma peau
ma peau
j’ai couru
enfant adulte vieux sage con
j’ai couru vers la
vie mais deuil mordait mes mollets
et mangeait mes
couilles et ricanait et
j’ai succombé et j’ai
chuté
de nouveau et le désespoir fut l’ordre
de ma raison
[…] Le cimetière a soufflé dans les bronches des vivants. La mort a ouvert les yeux du vivant. J’ai manqué de tout. J’ai senti l’avenir couler dans mes artères. J’ai senti la lumière au loin sur le flanc des collines, le rire tranchant du jour au travers des feuilles. J’ai senti les mousses humides au nord de l’espoir. Mais j’étais seul et cela que je vivais devait rester banal : c’était la vie quotidienne, c’était le jour à vivre depuis le début, mais j’étais seul et le vent frais levait les épaisseurs considérables des morts en moi. J’avais l’intuition que bientôt je trouverais la photo, et qu’après commencerait enfin ce qui n’a jamais cessé de s’offrir : la disparition de l’unique et la confirmation de ma peau.
Julien Boutonnier, Ma mère est lamentable, éditions publie.net, coll. L’inadvertance, 2014
Merci.