LE TRAIN
Le bruit du train use la nuit,
La terre doucement gémit sous le voyage,
Sur les visages le bruit
Plaque le bleu de l’agonie.
Cette rumeur,
C’est le vent,
Sur les chemins qui fuient l’ombre des cathédrales.
Le train se roule dans la nuit
Où se tait tout le blé.
Et nous sommes les voyageurs :
Sous les paupières de l’homme écrasé en face,
Sous le pli gonflé de nos fraternités
Et dans ce carrefour de nos stupidités,
Cette rumeur,
C’est le cri des voisinages
Et des noms effacés.
Le train prie en hurlant
Pour ses abandonnés ;
Le bruit dans sa furie,
Contre toute maison,
Garde ses égarés.
Les poèmes de Robert Antelme furent publiés au premier trimestre de 1944 dans le numéro 4 de la revue Littérature. Dans « Témoignage du camp et poésie » (paru dans Le Patriote résistant, n° 53, 15 mai 1948), courte entrée dans la poésie du déporté politique Maurice Honel, Antelme insiste sur la nécessité de lire le « contrepoint mélodique » à la réalité des camps : la poésie exprime « l’acharnement du détenu à faire surgir une clarté de la réalité oppressante, ou tout au moins à entretenir, souvent en tentant de fuir cette réalité, la vie inlassable de la conscience. Témoignage ou prophétie, la poésie des camps est celle qui a le plus de chances d’être la poésie de la vérité. »